Un doggy-bag monégasque début 2016
Raphael Brun
Monaco proposera un doggy-bag aux restaurateurs de la Principauté début 2016. Objectif : lutter contre le gaspillage alimentaire.
C’est confirmé. La Principauté lancera son doggy-bag au début de l’année prochaine. C’est ce qu’a indiqué Marjorie Crovetto-Harroch, deuxième adjoint au maire, déléguée au Cadre de vie, à l’Environnement et au Développement Durable, dans l’interview qu’elle a accordée à Monaco Hebdo (voir par ailleurs). Objectif : lutter contre le gaspillage alimentaire dans la restauration commerciale. Un calendrier précis a été préparé. Marjorie Crovetto-Harroch confirme que c’est bien une entreprise monégasque qui sera chargée de fournir les doggy-bag. En France, l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH) travaille avec la start-up lyonnaise TakeAway. Chaque box coûte 50 centimes d’euros. Et plus le restaurateur en achète, plus les prix baissent. Un pack de 100 doggy-bag est vendu 400 euros. Les prix peuvent encore baisser si le restaurateur accepte des produits avec de la publicité d’autres établissements. Lancé en octobre 2014 auprès d’une cinquantaine de restaurateurs de la région Rhône-Alpes, les premiers retours ont montré que le montage de la box était une perte de temps trop importante. Du coup, TakeAway fournit désormais des boites déjà montées. Plus de 200 restaurateurs se sont laissés séduire et cette entreprise lyonnaise en espère 500 d’ici la fin de l’année. Reste à savoir quelle entreprise sera le « TakeAway monégasque. » La réponse devrait intervenir d’ici le dernier trimestre 2015.
En attendant, TakeAway confirme chercher à séduire de façon individuelle les acteurs du marché monégasque : « Oui, nous sommes sur les rangs pour proposer nos doggy-bag chez les restaurateurs et les hôteliers monégasques. Nous avons déjà quelques contacts, notamment grâce au salon international de la restauration, de l’hôtellerie et de l’alimentation (SIRHA) qui à eu lieu en janvier à Lyon. Nous devrions avoir nos premières références à Monaco d’ici septembre », explique à Monaco HebdoVictor Marostegan, responsable de la communication de TakeAway.
« Responsabilité »
Mais avant de s’imposer, le doggy-bag devra vaincre plusieurs freins. Il y a d’abord la crainte de certains restaurateurs qui redoutent que des clients gèrent mal la chaîne du froid et s’intoxiquent. En France, TakeAway a obtenu de la Direction Régionale de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt (DRAFF) Rhône-Alpes qu’une fois le doggy-bag donné au client, le restaurateur ne soit plus responsable. C’est un point qu’il faudra aussi résoudre en Principauté. « Pour protéger la profession des risques sanitaires, nous devons inscrire une annotation sur l’emballage », propose Alberte Escande, présidente de l’association des industries hôtelières monégasques (AIHM) qui travaille depuis plusieurs mois avec la mairie sur le projet de doggy-bag.« L’Analyse des dangers — points critiques pour leur maîtrise (HACCP) au niveau de la restauration est très dure et responsabilisante pour les entreprises, estime Jean-Pierre Messy, secrétaire général du syndicat des cuisiniers, pâtissiers et tabliers bleus de Monaco (voir son interview par ailleurs). La chaîne du froid ayant été rompue, personne ne prendra la responsabilité de donner ces produits, de peur d’être attaqué et d’avoir une mauvaise publicité. Même en Principauté, les grandes surfaces préfèrent jeter des tonnes de marchandises arrivant à quelques jours de la date limite d’utilisation optimale (DLUO), plutôt que les donner à des associations. » Jean-Pierre Messy va plus loin, en estimant que le doggy-bag n’est qu’un « écran de fumée. Monaco s’est engagé dans la diminution des déchets plastiques. En général, le doggy-bag créera un déchet supplémentaire. » Avant d’ajouter : « Le gaspillage alimentaire est dû à 86 % à d’autres secteurs que la restauration. Et les restes dans les assiettes des clients sont infimes. »
« Loi »
Il faudra aussi arriver à convaincre les restaurateurs les plus sceptiques. Peur d’être submergé par la demande et de devoir passer trop de temps à préparer des doggy-bag tous les jours, opposition de principe contre le concept même de doggy-bag, manque d’intérêt pour ce genre de solution… Difficile de lister ici les différentes raisons qui peuvent pousser un restaurateur à refuser d’utiliser une box pour ses clients. Pourtant, Raoul Viora, président de l’association Monaco Développement Durable (MC2D), y croit : « Les restaurateurs de Monaco sont beaucoup plus enclins qu’on ne le croit à ce que leurs clients emportent les portions non consommées de leurs repas, y compris les bouteilles. Afin que les clients sachent qu’ils peuvent demander à emporter leurs surplus, il suffirait que les restaurateurs affichent un signe sur leur devanture ou leurs menus, par exemple. » C’est justement ce que prévoit le projet monégasque. « Le principal frein est culturel, estime Alberte Escande. Mais cette difficulté peut être contournée par de l’information. Le client ne doit plus prendre cette démarche comme quelque chose de gênant, mais de naturel. »
Autre point sensible : faut-il imposer l’utilisation du doggy-bag aux restaurants qui font plus de 150 couverts par jour, comme en France ? Ce sont alors surtout les restaurants de la Société des Bains de Mer (SBM) qui seraient concernés. « Bien entendu, la SBM réfléchit sur le sujet et sur ce changement de mentalité. A ce jour, nous ne pouvons malheureusement pas donner de réponses précises notamment concernant les restaurants qui font plus de 150 couverts par jour », répond le service communication de cette entreprise. A Monaco, les élus du Conseil national ne devraient, a priori, pas avoir à voter un texte de loi. « Pour l’instant, il n’est pas question de légiférer. Nos actions reposent sur le volontariat et le partenariat avec les professionnels et la sensibilisation du public. Mais aussi des échanges avec les entreprises ou des organismes qui sont parties prenantes », indique Marjorie Crovetto-Harroch. Une position partagée par Raoul Viora : « Une loi n’est pas nécessaire à Monaco. La persuasion nous semble une meilleure approche. »
« Je suis totalement contre »
Jean-Pierre Messy, secrétaire général du syndicat des Cuisiniers, Pâtissiers, Tabliers Bleus de Monaco, réagit à l’arrivée du doggy-bag en 2016.
L’arrivée du doggy-bag à Monaco en 2016 est une bonne nouvelle ?
Je suis totalement contre. Monaco s’est engagé dans la diminution des déchets plastiques. En général, le doggy-bag créera un déchet supplémentaire. Il s’agit juste d’un écran de fumée. Car le gaspillage alimentaire n’est pas à ce niveau. Il y a d’autres alternatives simples pour les restaurants. Par exemple, beaucoup de clients, suivant leur faim, peuvent demander un plat pour deux.
Mais le doggy-bag permet de lutter contre le gaspillage alimentaire !
Le gaspillage alimentaire ne se situe pas à ce niveau-là. Le doggy-bag vient d’un système américain de portionnement des plats qui ne correspond pas à la réalité de la restauration française et européenne. Si le plat est bon, le volume de restes dans une assiette est nul.
Que faire alors ?
La solution, restée sans suite, était que le gouvernement de Monaco crée un local où tous les surplus de la restauration qui n’ont pas subi une rupture de la chaîne du froid, soient collectés par un véhicule frigorifique et stockés. Les associations auraient ensuite pu venir à tour de rôle collecter les marchandises dans ce local.
« Monaco doit lancer son doggy-bag début 2016 »
Marjorie Crovetto-Harroch, deuxième adjoint au maire, déléguée au Cadre de vie, à l’Environnement et au Développement Durable répond aux questions de Monaco Hebdo.
Quels sont les chiffres du gaspillage alimentaire ?
Nous savons que 50 % de la nourriture mondiale produite et 25 % de celle achetée finissent à la poubelle. Au croisement des thématiques du développement durable, le gaspillage alimentaire est à la fois une aberration économique, un scandale sociétal et un saccage environnemental. De nombreuses études et réflexions existent sur cette problématique, notamment en Angleterre et en Belgique.
La France s’est engagée sur ce sujet ?
Le ministère français de l’Agriculture a mis sur pied un programme d’actions : « Stop au Gaspillage Alimentaire. Manger c’est bien, jeter ça craint. » Le tout en association avec le ministère de l’Environnement et l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME). D’autres acteurs sont également très impliqués.
Qui ça ?
On peut citer France Nature Environnement, ainsi que des organismes mondiaux comme le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) et la Food and Agriculture Organization (FAO). Leur démarche est très clairement exposée sur le site www.thinkeatsave.org.
D’ici 2016, les restaurants français vont être obligés d’introduire le doggy bag dans les services proposés a leurs clients dans le cadre de la loi « biodéchets » : et Monaco ?
En Principauté, nous ne suivons pas le pays voisin. Et nous avons commencé nos premières actions de sensibilisation au gaspillage alimentaire dès 2013, avec les Jeudis Verts. Pour l’instant, il n’est pas question de légiférer. Nos actions reposent sur le volontariat et le partenariat avec les professionnels et la sensibilisation du public. Mais aussi des échanges avec les entreprises ou des organismes qui sont parties prenantes.
Un doggy-bag monégasque va être lancé ?
Oui bien sûr, je suis certaine que Monaco doit lancer son doggy-bag. Et nous y travaillons activement pour que celui-ci puisse être proposé dès le début de l’année 2016.
Comment convaincre les restaurateurs monégasques d’utiliser le doggy-bag ?
Créer et mettre en place un doggy-bag est une évidence. Pour cela, l’implication des restaurateurs et une connaissance non seulement de leurs besoins en la matière, mais aussi des habitudes des consommateurs est nécessaire. Un questionnaire destiné aux professionnels a donc été établi. Il sera distribué très prochainement.
Vous avez lancé d’autres contacts ?
Nous avons aussi sollicité l’Association des Industries Hôtelières, et plus particulièrement sa Présidente, Alberte Escande, pour recueillir son point de vue et son aide quant à la diffusion de ce questionnaire.
Quel est l’objectif ?
L’objectif est de faire le point sur les habitudes des consommateurs, d’essayer de quantifier les plats non consommés et de connaître les besoins des restaurateurs, et ce, quelle que soit la taille de l’établissement. L’idée est de parvenir à savoir s’il faut créer des boîtes ou bien uniquement des sacs en papier. Les résultats de l’enquête nous diront vers quelle orientation nous tourner.
Ce dispositif est un moyen réellement efficace de lutte contre le gaspillage ?
Oui ce dispositif permettra de lutter efficacement contre le gaspillage. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Et il suffit d’observer ce qui est laissé dans les assiettes des clients au restaurant pour le comprendre.
A Monaco, le grand public est vraiment prêt à utiliser un doggy-bag ?
Cette idée a été extrêmement bien accueillie par le public qui n’hésite pas à m’interpeller pour me demander quand cette mesure sera mise en place. Je pense même que beaucoup de monde ira plus volontiers au restaurant en y voyant aussi un intérêt économique, surtout avec des enfants. Tout cela pour le grand plaisir des restaurateurs qui en plus seront ravis de constater que ce qu’ils ont préparé est trop bon pour être jeté.
Largement utilisé dans les pays anglo-saxons, ce dispositif pourrait se heurter à un obstacle culturel en Principauté ?
Si emporter les plats non consommés n’est pas dans notre culture et que nous avons, faute d’étude, peu d’élément aujourd’hui sur ce qui se passe à Monaco, nous avons en revanche constaté que le principe séduit beaucoup de personnes.
Les consommateurs monégasques oseront réclamer un doggy-bag ?
Bien que la majorité des consommateurs n’ose encore pas demander cela aux restaurateurs, les choses tendent à changer. Et les clients commencent à demander aux restaurateurs à emporter leur plat ou leur bouteille non terminés. Le restaurateur joue volontiers le jeu et les emballent dans des boîtes ou du papier aluminium. Il faut que le client se sente à l’aise avec cela. Il faut banaliser cette pratique et aller même plus loin.
Comment ?
En incitant le restaurateur partenaire à proposer à son client d’emporter ce qui n’a pas été consommé. Nous allons donc créer un réseau de restaurants partenaires qui afficheront clairement, sur leur vitrine ou leur menu, un sigle indiquant qu’ils participent à l’opération.
Selon quels critères sera choisie l’entreprise chargée de fournir les doggy-bag aux restaurateurs ?
Les critères seront ceux définis par les restaurateurs au travers de leurs réponses au questionnaire, en fonction de leur désir, de leurs habitudes et de celles de leurs clients et de ce qui leur semble le plus pratique à utiliser. L’entreprise choisie sera celle qui répondra le mieux à ces attentes.
En France, l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH) s’est associée à la start-up TakeAway pour promouvoir l’usage du doggy-bag : ici, une entreprise monégasque sera prioritaire sur ce dossier ?
Une entreprise monégasque sera bien entendu prioritaire sur ce dossier.
Quel est le calendrier ?
Nous avons établi un calendrier des actions à venir. Les questionnaires ont été distribués au mois de mai. Ce mois-ci, dans le cadre de Monacology, un stand d’animations destiné aux enfants est mis en place. Ce stand propose la réalisation d’un plat ou d’un cocktail par deux grands chefs monégasques, avec des denrées non vendues.
Et ensuite ?
En juin ou juillet, on va lancer le site gaspillagealimentaire. mc. Puis, en septembre, on diffusera les résultats de notre enquête auprès des restaurateurs. Une campagne d’affichage sera lancée. Enfin, lors du dernier trimestre 2015, l’étude et la création d’un doggy-bag seront lancée. Avec un lancement prévu début 2016.